François Bayrou vient de dévoiler son nouveau gouvernement. Dans un contexte politique et budgétaire incertain, les différents acteurs du système de santé réclament de la stabilité pour mener des réformes essentielles.

La censure du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui a provoqué celle du gouvernement Barnier, plonge les différents acteurs du système de santé dans l’expectative. Votée en urgence fin décembre, la loi spéciale évite la paralysie du pays, en garantissant notamment la continuité des services publics et la capacité d’emprunt des organismes de Sécurité sociale, mais elle interroge le devenir de plusieurs réformes stratégiques, dont celles concernant la profession infirmière.
Dans une Assemblée nationale fragmentée par les oppositions et rongée par les jeux de pouvoir, la tâche du nouveau Premier ministre ne sera pas simple. Lors de la cérémonie de passation, François Bayrou se disait conscient d’être au pied d’un « Himalaya de difficultés ». Proche du maire de Pau, Geneviève Darrieussecq, ministre démissionnaire de la Santé et de l’Accès aux soins, le croit capable de relever le défi. « Il a une expérience solide et connaît bien le terrain. Il est toujours resté fidèle à ses idées tout en étant très indépendant. Il me semble armé, dans ses convictions et sa façon de faire, pour donner au pays une stabilité que, je crois, une majorité de nos concitoyens recherche. Il peut être un peu têtu, mais il est quand même à l’écoute. Il se forge une opinion après avoir consulté et écouté. Et je crois que ça aussi, c’est essentiel aujourd’hui », pouvait-on lire dans un témoignage récemment relayé par France Bleu.

Nouvelle équipe, nouvel échec ?

Le suspens aura duré quelques jours seulement. Composé de trente-cinq membres, le gouvernement Bayrou comporte son lot de surprises. Il marque notamment le retour aux affaires de Catherine Vautrin, qui récupère son grand ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles. Elle sera assistée par un nouveau ministre délégué chargé de la Santé et de l’Accès aux soins en la personne de Yannick Neuder, député LR de l’Isère et rapporteur général du PLFSS 2025. « Infirmières et infirmiers, sages-femmes, aides-soignants, médecins, aidants et directeurs du soin du public comme du privé : vous êtes ce que le pays a de plus précieux et je souhaite, plus que jamais, que nous construisions avec vous tous l’avenir de notre système de santé. Vous pouvez compter sur l’engagement du ministre comme du professionnel de santé hospitalier que je suis », affirmait le cardiologue, durant sa première allocution.
Satisfaites mais prudentes, les organisations représentatives des professions de santé réclament avant tout de la stabilité. « Nous espérons que notre nouveau ministre restera en poste assez longtemps pour mettre en place les réformes nécessaires », réagissait le SNIIL, qui attend une adoption de la proposition de loi sur le métier infirmier dans les prochains mois. Parmi d’autres priorités, la nouvelle équipe gouvernementale devra rapidement dégager une majorité pour voter un budget en évitant de passer sous les fourches caudines de la censure. Seule certitude : les débats parlementaires ne reprendront pas avant la mi-janvier.


Photo : Philippe Chagnon / Cocktail Santé

Dans un rapport présenté mi-décembre devant la commission des affaires sociales du Sénat, la Cour des comptes étrille la réforme des études de santé, pointant notamment un « dispositif complexe et coûteux au bilan mitigé ».

Réussite et bien-être des étudiants, diversification des profils, progression vers des licences universitaires, hausse des effectifs des professionnels de santé… Aucun des objectifs prioritaires n’a été tenu, selon les sages de la rue Cambon. Quatre ans après la mise en œuvre de la réforme, les auteurs de ce rapport tracent plusieurs pistes d’évolution. Ils plaident notamment pour l’abandon du double parcours d’entrée PASS/L.AS au profit d’une voie d’accès unique.

Ils recommandent également de fixer des objectifs de formation, en fonction de la densité médicale et d’indicateurs sur les capacités de formation couvrant les trois cycles, et de mettre en place des indicateurs de suivi y compris sur le nombre de places créées en MMOP.

Ils suggèrent par ailleurs de confier un rôle de planification des ressources humaines à l’Observatoire national de la démographie des professions de santé, en le dotant du statut et des moyens nécessaires. Autre préconisation notable : développer une offre territoriale de formations délocalisées donnant accès aux études de santé pour diversifier l’origine sociale.


Photo : Philippe Chagnon / Cocktail Santé

Dans une étude publiée début décembre, la Drees anticipe une augmentation de 37 % des effectifs infirmiers d’ici à 2050.

Selon ses estimations, il y aurait alors 821 000 IDE sur une base de 29 000 diplômés par an. En dépit de cette embellie démographique, le nombre de professionnels en exercice ne sera toutefois pas suffisant pour couvrir les besoins de la population, notamment en raison de son vieillissement, qui pourrait se traduire par une augmentation significative de la demande de soins.

Outre la résolution des difficultés de recrutement, le maintien en formation sera par ailleurs un enjeu majeur. Selon la Drees, le nombre de diplômés est passé de 25 600 en 2013 à 24 400 en 2022. Et ce malgré la forte hausse du nombre de places en formation depuis 2021 ; il y en avait 36 200 en 2023.

La Drees précise toutefois que ses estimations dépendent de facteurs difficilement interprétables, comme la consommation réelle de soins, qui pourrait diminuer grâce aux progrès médicaux ou aux nouvelles modalités de prise en charge, mais aussi augmenter avec une dégradation de l’état de santé de la population ou l’apparition de nouvelles maladies.


Photo : Frederik Astier/Cocktail Santé

Dans sa dernière enquête annuelle publiée fin novembre, la Drees signale une hausse du nombre d’inscrits et de diplômés dans les formations aux professions de santé non médicales et de sage-femme en 2023.

Premier enseignement : les inscriptions en première année ont, toutes disciplines confondues, progressé de 1 %. Les formations d’auxiliaire de puériculture (+ 12 %), de sage-femme (+ 11 %) et de préparateur en pharmacie hospitalière (+ 9 %) affichent la plus forte progression en termes d’effectifs, loin devant celle d’infirmier en puériculture (- 12 %) qui enregistre la plus forte baisse sur la période.

Second enseignement : le nombre de diplômés a progressé de 3 % en 2023… soit la plus forte hausse constatée depuis dix ans. Il a particulièrement augmenté chez les auxiliaires de puériculture (+ 21 %), les infirmiers anesthésistes (+ 14 %) et les sages-femmes (+ 9 %), mais il a fortement diminué chez les ambulanciers (- 22 %), les infirmiers puériculteurs (- 6 %) et les infirmiers de bloc opératoire (- 4 %). Autre fait marquant : 11 % des élèves ou étudiants en première année de formation ont interrompu leur cursus, soit une hausse de 1 %. Ceux qui se préparent aux métiers de technicien de laboratoire médical (18 %), d’infirmier (14 %) et d’aide-soignant (12 %) sont les premiers concernés.

NB : 174 860 élèves ou étudiants étaient inscrits dans l’une des 1 398 formations aux professions de santé non médicales et de sage-femme en 2023.


Photo : Jeanne Frank / Cocktail Santé

Dans le sillage du mouvement #MeToo à l’hôpital, l’ONI a mené une consultation en ligne sur les violences subies par la profession, tous secteurs confondus, dont les résultats ont été publiés mi-décembre.

Il en ressort une « prévalence effrayante » des actes malveillants qui se traduit inévitablement dans les chiffres : 49 % des répondants ont déjà été victimes de violences sexistes ou sexuelles dans le cadre de leur activité professionnelle. Autre constat préoccupant : aucun lieu d’exercice n’est immunisé, même si les établissements de santé demeurent les principaux lieux de passage à l’acte, selon 75 % des répondants. Les agressions subies ont naturellement des impacts délétères sur le quotidien les victimes, tant sur le plan personnel que professionnel. Elles évoquent des répercussions directes sur leur santé (34 %), leur vie sociale ou intime (24 %), mais aussi sur leur relation de travail (19 %) ou leur rapport au travail (14 %). Autre conséquence majeure : 37 % des personnes interrogées déclarent que les violences sexistes ou sexuelles ont fait naître chez elles un sentiment d’insécurité dans leur milieu professionnel.

Au-delà du constat, l’Ordre national des infirmiers formule une série de propositions concrètes articulées autour de trois grands axes : prévenir, accompagner et sanctionner. L’instance préconise notamment de former tous les professionnels de santé et tous les personnels administratifs pour mieux détecter, prévenir et déclarer les violences sexistes et sexuelles dès la formation initiale. Elle recommande également de mettre en place des systèmes de déclaration et d’accompagnement au plus près des professionnels. Elle suggère par ailleurs de conclure des conventions police-justice-Ordre dans tous les territoires pour permettre la mise en œuvre de systèmes d’alerte et la meilleure prise en compte de toute plainte ou signalement émanant d’un professionnel de santé.

NB : plus de 21 000 infirmières et infirmiers ont répondu à cette consultation en ligne, dont 19 092 infirmières, soit une proportion proche de celle qui est la leur au sein du corps infirmier.

Consulter la synthèse : https://www.ordre-infirmiers.fr/system/files/inline-files/Synth%C3%A8se_consultationVSSV2.pdf


Illustraion : Freepik

Le ministère de la Santé et de l’Accès aux soins a lancé, en partenariat avec France Travail, un programme d’engagement national et une plateforme numérique pour valoriser les métiers du soin et de l’accompagnement social.

Mise en ligne fin novembre, elle recense 17 000 formations et plus de 93 000 offres d’emplois existantes concernant 95 métiers différents dans cinq secteurs : santé, social, grand âge, handicap et petite enfance. Selon le ministère, cette initiative inédite promeut des professions « variées et essentielles » qui jouent un « rôle central et porteur de sens pour la société ».

La nouvelle plateforme doit également permettre de fournir des informations détaillées sur les métiers et les formations, d’offrir un accès simplifié aux opportunités d’emploi et à des parcours de reconversion, et proposer des témoignages et des ressources pratiques pour faciliter l’orientation.

https://prendresoin.francetravail.fr/

Brutalement interrompue par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier, la loi infirmière revient sur le devant de la scène parlementaire. La profession retrouve espoir, mais la partie est loin d’être gagnée. Réactions.

Une proposition de loi visant à « faire évoluer les missions dévolues aux infirmiers et aux infirmières » a été officiellement déposée le 18 novembre dernier. Rédigée par Nicole Dubré-Chirat et Frédéric Valletoux, deux députés Horizons, cette PPL repose sur quatre grands piliers : redéfinir les missions des infirmiers, créer une consultation infirmière, autoriser la prescription et renforcer la pratique avancée. « Ce texte reconnaît le rôle essentiel qu’occupent les 640 000 infirmiers et infirmières dans l’accès aux soins », déclarait l’ancien ministre de la Santé et de la Prévention, sur le réseau social X, à la suite de son dépôt au Parlement.
Sans surprise, les principales organisations professionnelles ont affiché publiquement leur satisfaction, mais elles se montrent néanmoins prudentes. Sur le même réseau social, l’Ordre national des infirmiers salue une décision bénéfique et très attendue, tant par la profession que la population, mais réclame la prise en compte des soins relationnels dans le chapitre des missions. « La redéfinition des missions infirmières contenues dans ce texte sera aussi indispensable pour redonner de l’attractivité au métier infirmier et reconnaître le rôle essentiel de la profession dans l’accès aux soins », soulignait la FNI, dans un communiqué publié quelques jours plus tard. Evoquant un « tournant essentiel » pour le IDEL, le SNIIL sera « vigilant quant au contenu final du texte qui doit conduire à plus d’autonomie pour la profession et à plus de reconnaissance de ses compétences ».

Une première étape…

Quel sera le sort réservé à la proposition de loi Dubré-Chirat/Valletoux et quand sera-t-elle examinée ? Ces questions, cruciales pour la profession, sont pour l’instant sans réponse. Une chose est sûre : cette évolution aura les faveurs de l’opinion. Selon un récent sondage mené par ELABE pour le compte de l’ONI, 85 % des répondants se disaient favorables à une meilleure reconnaissance et un élargissement des compétences des infirmiers pour améliorer l’accès aux soins. Autre chiffre clef : 83 % d’entre eux déclaraient faire confiance aux infirmiers pour exercer de nouvelles missions et jouer un rôle plus important auprès des patients.

Aussi fondamentale soit-elle, cette PPL n’est pas la seule pièce manquante du puzzle de la réforme infirmière. Le décret sur les compétences, qui doit passer sous les fourches caudines du Conseil d’Etat, et l’arrêté listant les différents actes infirmiers, qui doit être rédigé par la Direction générale de l’offre de soins, manquent encore à l’appel. Réclamée par les syndicats, sans attendre l’examen de la proposition de loi, l’ouverture des négociations conventionnelles avec l’Assurance Maladie sera également un paramètre déterminant dans la conduite du changement. La refonte du référentiel de formation sera par ailleurs un enjeu majeur. Sa mise en application est programmée en septembre prochain, mais les IFSI ne pourront pas tenir le délai si les textes afférents ne sont pas publiés dans les deux ou trois prochains mois. Des voix s’élèvent déjà pour reporter cette échéance, faute de temps pour la préparer sereinement.


Photo : Frédérik Astier / Cocktail Santé

Au même titre que les médecins, les pharmaciens et les sages-femmes, les infirmiers peuvent désormais proposer des bilans de prévention aux âges clés de la vie.

La FNI y voit une « opportunité unique » pour la profession de démontrer son utilité et ses compétences : « La relation de confiance privilégiée que les IDEL entretiennent avec leurs patients est un atout incontestable pour la réussite de cette action. Mais c’est aussi un défi. En s’emparant de ce dispositif, les IDEL rendent visible leur rôle en matière de prévention et ouvrent la voie au développement de nouvelles missions de santé publique, donc à la reconnaissance de la profession. » Ces rendez-vous personnalisés sont intégralement pris en charge, sans avance de frais, par l’Assurance Maladie. Ils doivent faciliter le repérage précoce des facteurs de risque de maladies chroniques et autres pathologies évitables, tout en incitant les patients à devenir acteurs de leur propre santé. Mon Bilan Prévention cible quatre tranches d’âge, soit les 18-25 ans, les 45-50 ans, les 60-65 ans et les 70-75 ans.

NB : un bilan de prévention ne peut être effectué qu’une seule fois par personne et par tranche d’âge. Les effecteurs sont rémunérés à hauteur de trente euros.

A l’instar de la loi infirmière, le « dossier IPA » pourrait prochainement trouver une issue favorable.

Selon les quatre organisations représentatives de la profession, qui ont récemment rencontré les conseillers santé du gouvernement, les textes encadrant l’accès direct et la primo-prescription pourraient être publiés dans les prochaines semaines, et probablement même avant la fin de cette année. Certaines modifications sont toutefois prévues par rapport à la version initiale de la loi Rist 2. Le projet de décret, qui précisera notamment la liste des médicaments et des prestations pouvant être prescrits sans avis médical par les infirmiers en pratique avancée, est actuellement examiné par le Conseil d’Etat. Il définira également les conditions dans lesquelles les patients pourront accéder aux IPA.

NB : la loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite Loi Rist 2, a été promulguée le 19 mai 2023. La parution de plusieurs textes d’application, dont ceux concernant le droit de primo-prescription et l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée, a été retardée par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier.


Photo : Frédérik Astier / Cocktail Santé