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Le vieillissement programmé de la population nécessite une profonde révision du cadre législatif, et des modalités de financement adéquates.

Peu convaincue par la proposition portée par les parlementaires de la majorité, la Fédération hospitalière de France vient de diffuser vingt mesures urgentes et structurelles, sous la forme d’un « projet de loi » en faveur d’une société de la longévité, dont la formation et le recrutement de 100 000 professionnels en cinq ans ou encore la garantie de la pérennité des financements de la branche autonomie au-delà de 2024. Plus largement, ce plan d’action repose sur cinq grands axes : construire une société de la longévité respectueuse de tous les citoyens ; faire de la prévention un objectif opposable de santé publique ; prendre soin des professionnels du grand âge et attirer de nouveaux talents ; adapter l’offre d’accompagnement aux parcours de vie et aux attentes des personnes âgées ; accompagner la nécessaire mutation du secteur médico-social. Symbolique des failles du système actuel, la situation des Ehpad publics continue de se dégrader. Selon la FHF, 85 % d’entre eux annoncent un déficit pour 2022… contre 45 % en 2019.

La commission santé publique et démographie de l’Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes vient d’élaborer un outil de dépistage de la fragilité motrice, accompagné d’un guide pratique expliquant son utilisation.

Destiné aux personnes de 65 ans et plus, vivant à domicile, il constitue une « base nationale commune, standardisée et de qualité » qui doit permettre d’améliorer la prévention du risque dans les populations vieillissantes. A l’issue d’un interrogatoire et d’un test clinique réalisés par le masseur-kinésithérapeute, le score fonctionnel obtenu permet de déterminer la suite du protocole. Les besoins du patient se limiteront parfois à de simples conseils. Dans certains cas, un programme de préservation des capacités locomotrices et/ou une orientation vers le médecin traitant ou le gériatre seront nécessaires pour les sujets entrant dans la fragilité. « La prévention et la rééducation par le mouvement sont des investissements d’avenir, indispensables pour la santé de nos concitoyens. Les kinésithérapeutes doivent prendre toute leur part pour faire de la prévention un élément majeur de leur prise en charge », estime le Cnomk.

Derrière le traitement réservé à certains de nos aînés, l’affaire Orpea illustre les nombreuses difficultés rencontrées par les professionnels du secteur de la dépendance, aides-soignants en tête. Explications.

Dans un livre-enquête à charge*, Victor Castanet pointe les « pratiques douteuses » d’Orpea, un grand groupe français spécialisé dans les structures de soins et d’hébergement pour personnes âgées. Parmi d’autres accusations, son auteur dénonce un « système de réduction des coûts » qui se solderait par des « mauvais traitements » infligés aux patients et aux résidents, au grand dam des personnels de ces établissements, à la fois débordés et sous-équipés. Lourdes de conséquences, ces allégations devront être confirmées. Plusieurs enquêtes indépendantes, dont celles de l’IGAS et de l’IGF, ont été diligentées pour vérifier et qualifier les faits énoncés.
Face à l’ampleur du scandale présumé, les candidats à l’élection présidentielle se sont immédiatement emparés du sujet, rivalisant de propositions plus ou moins réalistes pour remédier à cette situation. Un constat fait néanmoins l’unanimité. Promise à deux reprises durant le quinquennat, la loi sur le « grand âge » devra être la priorité du suivant.

Un mal plus profond

Derrière le sort réservé à certains de nos aînés, cette affaire témoigne des difficultés rencontrées par les soignants du secteur de la dépendance. Faute de temps et de moyens, nombre d’entre eux s’estiment condamnés à « maltraiter » les personnes âgées.
A plus large échelle, elle révèle les failles d’une branche peu attractive, en proie à de sérieuses difficultés de recrutement, dont les aides-soignants sont les premières victimes.
Les différentes organisations professionnelles le répètent à l’envi : le manque d’effectif nuit à la qualité du service rendu, au détriment des patients. Il se traduit aussi par une charge de travail accrue, rythmée par des cadences infernales confinant à l’épuisement professionnel. Physique et psychique, cette souffrance est accentuée par un manque de reconnaissance généralisé. Elle est amplifiée par le peu de considération portée à la profession, y compris sur le plan salarial.

Des propositions concrètes

De ce point de vue, le Ségur de la santé n’a pas suffi. Fixée à 183 euros nets par mois, la hausse des salaires est jugée « modeste » par les principaux représentants du secteur. Considérée comme un facteur d’attractivité majeur, leur rémunération devra être significativement réévaluée, comme le suggère la Fédération nationale des associations d’aides-soignants, qui réclame également des campagnes d’information thématiques sur le métier… et son utilité sociale. Autre évolution indispensable : la problématique des ressources humaines devra être rapidement tranchée. Pour compenser les besoins existants, l’Association des directeurs au service des personnes âgées revendique la création effective de deux postes supplémentaires par établissement… d’ici à la fin du quinquennat. Appuyée par une nouvelle campagne de formation, cette mesure permettrait de recruter près de 40 000 aides-soignants.

(*) Les Fossoyeurs, éditions Fayard, 388 pages.

59 mesures pour un montant total de quatre milliards d’euros sur cinq ans. Officiellement présenté le 29 octobre dernier, le rapport El Khomri* contient de nombreuses propositions pour restaurer l’attractivité des métiers du grand âge et de l’autonomie.

Cinq axes forts ont été identifiés : assurer de meilleures conditions d’emploi et de rémunération, en ouvrant de nouveaux postes, en rénovant les conventions collectives et en mettant en place une initiative nationale ; réduire la sinistralité et améliorer la qualité de vie au travail ; moderniser les formations et changer l’image des métiers ; innover pour transformer les organisations ; garantir la mobilisation et la coordination des acteurs et des financements aux niveaux national et territorial.
L’heure est visiblement à l’urgence. Mal préparée, la France n’est pas encore prête pour affronter une crise démographique sans précédent. « Nous sommes confrontés à un immense défi. Il nous faudra répondre au vieillissement de la population, mais aussi à la volonté des Français de rester chez eux le plus longtemps possible », rappelait très justement l’ex-ministre du Travail de François Hollande, aujourd’hui directrice de S2H Consulting (groupe Siaci Saint-Honoré).

92 300 postes à créer

Mieux rémunérer pour mieux recruter : tel sera l’un des principaux enjeux. Augmentation des salaires, remboursement des frais de déplacement, octroi de véhicules de fonction… Myriam El Khomri identifie plusieurs pistes pour améliorer la « santé financière » des soignants, en particulier dans le secteur de l’aide à domicile, via une modification des conventions collectives. Significatif, le coût de la remise à niveau des rémunérations inférieures au Smic est estimé à 850 millions d’euros sur la période 2020-2024.
Pour faire face à la hausse programmée des besoins liés à la prise en charge des personnes en perte d’autonomie, 92 300 postes d’aides-soignants et d’accompagnants éducatif et social seront également créés au cours des cinq prochaines années, soit un investissement total de 2,25 milliards d’euros.
Près de 500 millions d’euros seront par ailleurs consacrés à la création de plates-formes départementales des métiers du grand âge, une sorte de « guichet unique » visant notamment à sécuriser les recrutements à l’échelle locale.

Vers une suppression du concours d’aide-soignant ?

Pour absorber la demande actuelle et future, Myriam El Khomri suggère de doubler le flux de formation annuel, alors que les candidatures ont chuté de 25 % en cinq ans. Elle recommande notamment la suppression du concours d’aide-soignant, qu’elle considère comme « un frein d’accès à la profession », mais aussi la gratuité de la formation, qui pourrait désormais être accessible via ParcourSup. La question du « manque à gagner » pour les instituts spécialisés est ouvertement posée.
Elle préconise par ailleurs de recourir davantage à l’alternance et à la validation des acquis de l’expérience, et propose que les soignants au contact des personnes âgées et dépendantes suivent une formation spécifique en gérontologie.
Qu’il s’agisse des aides-soignants ou des accompagnants éducatif et social, 352 600 professionnels devront être formés d’ici à 2024. Pour mémoire, 60 000 postes sont actuellement vacants. 200 000 autres sont également menacés par les départs en retraite et le turn-over…

Des mesures complémentaires

D’autres chantiers d’envergure seront parallèlement engagés, à commencer par un programme de lutte contre la sinistralité, trois fois supérieure à la moyenne nationale dans ces deux professions. Financée par les excédents de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, cette action devra contribuer à réduire la proportion actuelle de 25 %. Un montant de 500 millions est prévu à cet effet, avec un renforcement de la logique préventive.
Pour finir, une campagne de communication sur les métiers du grand âge sera prochainement lancée. Dotée d’un budget de 20 millions d’euros, elle devra changer le regard de la société sur des métiers socialement utiles, mais insuffisamment reconnus.
Selon Agnès Buzyn, les propositions du rapport El Khomri constitue « une feuille de route à la fois courageuse, innovante et opérationnelle ». La plupart d’entre elles pourraient d’ailleurs être reprises dans le projet de loi consacré au grand âge, qui devrait être présenté en décembre prochain.

(*) « Plan de mobilisation générale en faveur des métiers du grand âge pour la période 2020-2024 », Myriam El Khomri (octobre 2019).

NB : Suppression du concours d’aide-soignant dès la rentrée 2020, réingénierie de la formation en blocs de compétences, certification de la formation d’assistant en soins de gérontologie, création d’une formation spécifique liée au grand âge… Partie prenante du groupe de travail constitué par le ministère de la Santé, l’ANdEP a étroitement participé à l’élaboration de ces recommandations. Notons également que l’intégration des candidats à la formation d’aide-soignant dans le dispositif ParcourSup n’est pas encore actée. Elle est même peu probable pour la rentrée prochaine.