Les XXVIèmes journées d’études de l’ANDEP se sont déroulées en présentiel les 28 et 29 mars 2024.

Les nombreux participants, directeurs, coordonnateurs pédagogiques, cadres supérieurs en santé en institut de formation paramédicale, toutes filières confondues ont partagé leur réflexion sur un thème d’actualité. « Regards croisés sur l’intelligence artificielle dans les instituts de formation : point d’étape et perspectives » accompagnés par les apports d’intervenants de qualité.

L’objectif général était de fournir aux participants des éléments leur permettant de réfléchir à la place que peuvent prendre les outils de l’intelligence artificielle (IA) dans un pilotage d’institut ainsi qu’à l’intégration dans les apprentissages des futurs professionnels de la santé.

Différentes étapes ont nourrit nos réflexions et nos travaux, pour aborder le sujet de manière pragmatique, constructive.

L’Andep nous propose un voyage en plusieurs étapes pour réfléchir sur l’IA et ses évolutions en perpétuelle mouvance et innovation.

  • 1ère étape d’un voyage : « Intelligence artificielle et ChatGPT »

Bastien MASSE, chef de projet CHAIRE UNESCO RELIA, Ressources Educatives Libres et Intelligence Artificielle, Nantes Université, DG Class-code

Une définition simple et déjà riche en questionnement

Par cette première intervention sur « Intelligence artificielle et ChatGPT », il pose le décor en apportant une définition simple et la fois déjà complexe de l’IA. « L’ensemble des technologies, techniques, architectures et même théories qui permettent de simuler des parties de l’intelligence humaine ou animale », explique Bastien Masse. Dès que l’on parvient à produire une machine, à utiliser un algorithme pour se rapprocher de quelque chose que ferait l’humain, on peut désigner cela comme de l’intelligence artificielle. Il situe les différentes formes d’IA.

ChatGPT (Générative Pr-Trained Transformer) est une intelligence artificielle générative, puisque son rôle est de générer des contenus, en l’occurrence des textes. Ce modèle de langage basé sur l’IA excelle dans la génération de texte naturel en réponse à des questions ou des déclarations. ChatGPT représente l’une des dernières itérations des modèles d’IA. Il s’appuie sur des réseaux neuronaux numériques massifs pour sa puissance de traitement.

La présentation très innovante, animée et ponctuée d’exemples concernant l’IA générative, est très riche d’apprentissage pour les participants. A partir d’un prompt, c’est-à-dire d’un exemple de mots que l’utilisateur intègre, GPT favorise la production de réponses différentes. Il nous invite à développer nos capacités de naviguer dans les différents niveaux de langages.

Il interroge l’utilisation de l’IA dans l’éducation nationale

L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de l’éducation a suscité de nombreux débats, notamment autour du « risque de triches des élèves » et de la remise en question de l’évaluation telle qu’elle est pratiquée.

Actuellement, l’éducation nationale adopte une approche ouverte à l’égard de l’IA. Elle encourage les enseignants à expérimenter ces outils et à tirer parti de leur expertise pour explorer de nouvelles possibilités pédagogiques.

Certains enseignants l’utilisent pour leur travail et les tâches courantes, la préparation des devoirs, les tâches administratives. Cette ouverture s’explique par la reconnaissance du potentiel de l’IA pour l’enseignement, ainsi que par la nécessité d’adapter l’éducation aux réalités technologiques actuelles.

Quels outils d’IA utilisables à l’école et dans l’éducation ?

Des outils présentés permettent de très nombreux usages, réaliser des diaporamas à notre place dans une langue différente, réaliser des recherches documentaires en expliquant un passage et en le traduisant, etc. Il expose aussi des applications pratiques concernant les formulations des diagnostics infirmiers.

Il distingue les outils pour les apprenants et ceux pour l’enseignant. Il démontre l’influence de l’IA dans l’Education sur les courbes d’apprentissage, avec un niveau développé ou un niveau stable.

Pour donner du sens à l’IA, il invite surtout à la co résolution de problèmes en intégrant la résolution collaborative de problèmes et la résolution à l’aide de l’informatique. Il invite à la co construction et à la créativité en initiant la co créativité et la pensée informatique créative. La collaboration intègre aussi la pensée critique et la pensée informatique pour donner du sens et intégrer une volonté d’être créatif. Il nous amène à voyager en nous guidant vers des démonstrations sur les très nombreux réseaux.

  • 2ème étape du voyage : « L’intelligence artificielle en santé : quelles représentations ? » Pierre LE COZ, Professeur des universités en philosophie, Directeur de l’espace Régional de réflexion éthique Région Sud et Corse.

A partir d’un voyage à travers de ouvrages sur l’IA réalisés par des professionnels de la santé, des philosophes, des essayistes et autres, et de très précises références littéraires, il propose une sorte de mise en scène animée de plusieurs types de représentations ; les perceptions techno-prophétiques, les représentations techno progressistes jubilatoires, les techno progressistes modérés, et le prisme de lectures techno-septiques. Il capte l’attention, stimule la réflexion et la pratique réflexive.

Parmi les perceptions techno prophétiques, il fait référence avec de nombreux auteurs, en réalisant une revue d’ouvrages. Laurent ALEXANDRE « L’IA ou la mort du médecin » « La guerre des intelligences », Stéphane MALLARD « Dis rup tion, Intelligence articifielle, Fin du salariat, Humanité augmentée, Préparez-vous à changer de monde », David BARROUX, Gaspard KOENING, etc, …

Parmi les représentations technos progressistes jubilatoires, il poursuit avec Guy VALENCIENNE « La médecine sans médecin », Philippe COUCKE, « La médecine du futur: Ces technologies qui nous sauvent déjà », Violaine Champetier de Ribes « L’Estonie, un état numérique performant ».

Parmi les technos progressistes modérés, le voyage se poursuit avec plusieurs auteurs, qui simulent nos capacités réflexives et qui se veulent plutôt « rassurants » ; Luc JULIA, « L’intelligence artificielle n’existe pas », Jean-Gabriel GANASCIA « Le mythe de la singularité ; faut-il craindre l’intelligence artificielle? » Raphaël ENTHOVEN « L’esprit artificiel. Une machine ne sera jamais philosophe ».

Il cite Alain DAMASIO : « Il n’y pas de lendemain qui chantent, il n’y que des aujourd’hui qui bruissent »

Il s’agit de « dé diaboliser » l’IA, sans pour autant l’idéaliser.

Les formateurs et les étudiants doivent connaitre Chat GPT et toutes les autres applications en lien l’éco système technologique des patients d’aujourd’hui et de demain. Il cite « Carenity » premier réseau social destiné aux personnes concernées par une maladie chronique.

Le recours à l’IA dans les formations augmente la place dévolue à l’apprentissage des compétences relationnelles et empathiques. Paul Valéry : « Ce qu’il y’a de plus profond en l’homme, c’est la peau ».

Il aborde aussi l’IA dans la détection prédictive avec la maladie d’Alzheimer.

Il s’agit d’apprendre aux étudiants que chaque opportunité contient en germe des menaces. En nous rassurant puisque 5% seulement des métiers disparaitront. Il nous rappelle les différentes formes d’intelligence, artistique, linguistique, mathématiques, visuel et spatial, tactique, etc, …

Entre les enthousiastes, fascinés, éblouis par l’IA et les modérés, optimistes, confiants et rassurants, « seul un visage peut rencontrer un visage », nous dit-il. Les formateurs peuvent avoir des intuitions sur le corps parlant d’un étudiant, seul l’étudiant exprime sa tristesse et le formateur capte sa souffrance. Il cite Michel HENRY, « Incarnation Une philosophie de la chair » « Car c’est la chair qui, s’éprouvant, se souffrant, se subissant et se supportant soi-même, jouissant de soi selon des impressions toujours renaissantes, … »

Il met aussi en exergue l’intelligence humaine, intégrant la mémorisation, les perceptions les émotions, et l’imagination. Dans nos métiers du soin, l’intelligence humaine perçoit le corps qui se voit et ce qui ne se voit pas : « j’ai l’estomac retourné, j’ai une boule dans la gorge, j’ai des élans de cœur. »

Il poursuit son exploration sur les représentations avec les technos septiques.

Les prismes des lectures technos septiques nous mettent en garde vis-à-vis du risque de perte de contrôle. L’IA échappe à nos prismes. Nous courrons après une forme d’autonomisation généralisée.

De plus, tous affairés à une logique d’accélération, à une logique de compétitivité, à une logique de performance, il ne s’agit pas d’oublier qu’en pédagogie le monde de la lenteur est nécessaire au développement.

Les universités deviendront dépendantes des GAFA et GAFAM, acronymes reprenant l’initiale des « géants du net », les plus puissantes multinationales des technologies de l’information et de la communication. Ces lettres font référence aux cinq plus grosses entreprises du secteur, Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft.

ELIZA est, en intelligence artificielle, un programme informatique écrit par Joseph Weizenbaum entre 1964 et 1966, qui simule un psychothérapeute rogérien … Le suicide, en Belgique, d’un homme suite aux incitations d’un chatbot souligne le risque de la manipulation émotionnelle.

Développeurs et fournisseurs d’Intelligence Artificielle (IA) mais aussi les gouvernements doivent adopter au plus vite un cadre juridique protecteur.

Les alarmistes, les catastrophiques, les techno catastrophiques renforcent la nécessité de réfléchir en collégialité. Quelle balance bénéfices-risques de l’IA sera posée ?

Avec son diaporama, le flot d’images des premières de couverture de chaque ouvrage simule nos représentations et nous baigne dans les innovations techniques et humaines, où les représentations sont simulées. Avec théâtralisme, humour et bienveillance, Pierre Le COZ , nous accompagne dans ce formidable voyage. Il nous fait prendre conscience de notre humilité et notre humanité. Il invite à poursuivre nos recherches, nos lectures avec un esprit critique.

Les chatbots et autres applications destinées à répliquer les comportements humains au travers de l’Intelligence Artificielle (IA) occupent une place de plus en plus importante dans nos vies. L’arrivée de ChatGPT a fait grand bruit auprès du grand public, malgré le fait que cette technologie soit en développement depuis plusieurs décennies. Si les opportunités offertes par ces applications sont fascinantes, rappelons cependant que « tout ce qui est possible n’est pas toujours souhaitable ».

La troisième étape de notre voyage poursuit notre réflexion éthique et met en exergue l’évolution de la Garantie Humaine de l’IA dans la loi de bioéthique et l’avis du CCNE de janvier 2023.

  • 3ème étape clé « L’intelligence artificielle et Formations paramédicales : révolutions des cas d’usage et enjeux éthiques »

David GRUSON Fondateur de l’opérateur d’accompagnement Ethik-IA

Le déploiement de l’IA va impacter massivement les prises en charge courantes et tous les segments de la médecine recourant directement au numérique et à la robotique. En France, un tournant positif est à mettre en exergue avec l’avis N° 129 du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), avec le rapport dédié au numérique et à l’IA du 19 novembre 2018, la loi de bioéthique d’août 2021 et l’avis du CCNE n° 141 de janvier 2023. La Garantie Humaine de l’IA dans la loi de bioéthique endossée par l’OMS et intégrée au futur règlement européen sur l’IA est au cœur de la gestion de risques.

Les formations paramédicales et soignantes doivent intégrer cette nouvelle composante essentielle dans les métiers de la santé.

Le mouvement majeur de l’IA vers l’accès aux soins avec des recours à l’IA pour la reconnaissance de diagnostic et d’images est déjà très opérationnel dans de nombreux domaines du soin.

Au cœur des établissements, l’IA générative est utilisée. Il situe les deux grandes catégories de système, l’IA dit classique et l’IA auto apprenante.

Il présente des initiatives pilotes sur la formation à l’IA. Il agrémente son argumentation de très nombreux exemples centrés sur les soins, ophtalmologie, radiologie, analyse des mammographies, oncologie, endocrinologie. Il simule la réflexion concernant les pertes de chances de ne pas utiliser l’outil.

Les enjeux de la régulation de l’IA en santé sont posés : agilité, démystifier les outils en développant l’esprit critique, la responsabilité, etc.

L’IA en santé et responsabilité sont abordés en distinguant la responsabilité des faits, des choses portés par le médecin et les paramédicaux et la responsabilité des produits défectueux.

L’IA en santé et les risques de délégation sont aussi considérés comme des enjeux majeurs.

Le principe de garantie humaine est posé dans l’article 17 de la loi de bioéthique.

Le modèle européen est centré sur l’évaluation du risque. Pour toutes les IA en santé, l’obligation de supervision humaine de la conception à l’utilisation est posée en l’article 14.

Le pilotage stratégique, prospectif et opérationnel des instituts de formation aux métiers de la santé constitue le cœur de notre mission en tant que directeur. La conduite de projets nécessite une mise en symphonie des talents des différents acteurs, des parties prenantes et des membres de nos équipes.

  • 4ème étape, « L’IA au service de la pédagogie » Table ronde

Marion LAJE, accompagnement des étudiants à pathologie «Dys »-Formatrice en ergothérapie, CH de Laval

Jean Marc GILLIOT, un nouveau rapport au savoir pour l’enseignement- Enseignant chercheur chez AgroParis Tech

Sébastien SIGISCAR, Intégration de l’IA dans la formation, Directeur Général délégué à l’innovation pédagogique et numérique-centre d’Innovation Pédagogique et Numérique CIPEN-université Gustave Eiffel

L’usage de l’IA dans le cadre du pilotage des instituts de formation est interrogé.

La distinction entre l’utilisation et l’usage des outils numériques est mise en avant.

De nombreuses questions se posent :

  • En tant que directeur, comment accompagner les acteurs dans une institution ?

  • La montée en compétences des formateurs est-elle suffisamment déployée ?

  • Comment aller chercher dans les espaces, des communautés des contenus déjà existants pour libérer du temps?

  • Comment libérer du temps pour que les formateurs soient au plus proche des étudiants ? Distinguer deux temps, la création de ressources et la diffusion des ressources pour être encore plus efficient auprès des étudiants ?

Les outils ne remplacent pas l’interaction pédagogique. Se pose la question du transfert.

Réinterroger la pédagogie en intégrant les opportunités offertes :

  • Qu’est ce qui peut être fait ?

  • Qu’est ce qui a déjà été fait ?

  • Quels modèles pédagogiques sous-tendent nos démarches?

  • Sur quels éléments du processus d’apprentissage, les formations vont accepter les changements ?

  • Comment accompagner les formateurs, les institutions ?

  • Quels changements sur la posture du formateur ?

  • Quelle est la nature du savoir avec les différents outils numériques ?

  • Comment utiliser la recherche pour accompagner les formateurs dans l’avenir ?

L’introduction de l’IA met en lumière la nécessité de repenser la pratique de l’évaluation. Comment évaluons-nous les compétences et les connaissances des apprenants de manière équitable et précise à une époque où l’IA peut générer du contenu de haute qualité ?

Les questions ne semblent pas nouvelles.

L’IA réinterroge les situations d’accompagnement vers l’appropriation de savoirs, de savoirs faires, de savoirs être, et le développement personnel. Elle questionne de nouveau la construction des compétences au service des soins et l’accompagnement du développement professionnel identitaire des professionnels des métiers du soin et de la santé.

En tant que responsable du pilotage des instituts de formation notre positionnement est central.

Accompagner les acteurs :

  • Communication sensibilisation avec des ateliers permettant aux enseignants de découvrir, de s’entrainer

  • Co construction à travers leurs expériences.

Un grand merci à nos intervenants et aux participants pour la richesse des échanges.

Claudine Charbonneau