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François Braun se donne un an pour refonder le métier d’infirmier. Ambitieux, le projet interministériel suscite néanmoins la méfiance des syndicats et des organisations professionnelles. Explications.

Le compte à rebours est lancé. Dans un discours prononcé fin mai, François Braun dévoilait les grandes lignes de la réforme des soins infirmiers. Réclamée de longue date par la profession, cette transformation reposera sur trois piliers : la formation, les compétences et les carrières. Une approche plus agile par grandes missions sera notamment privilégiée pour mieux tenir compte de la technicité, de la diversité et de la complexité des activités réalisées. Les cursus de formation seront également repensés pour les adapter aux besoins locaux, attirer toujours plus de jeunes et renforcer leur accompagnement jusqu’au diplôme. Autre enjeu prioritaire : les collectifs de travail au sein desquels les infirmiers exerceront des compétences élargies, en équipe, seront rénovés et renforcés, et leurs expertises reconnues dans une perspective de progression et d’évolution professionnelle.

Des mesures concrètes

La réforme passera par deux changements critiques : la refonte du référentiel de formation et la révision du décret sur les actes infirmiers, qui n’a pas été modifié depuis dix-neuf ans. Plusieurs mesures concrètes ont déjà été dévoilées par le ministre de la Santé et de la Prévention. Le tutorat durant les stages sera développé, et l’apprentissage renforcé « dès la rentrée prochaine ». Certaines disciplines, comme la pédiatrie, la psychiatrie ou la gérontologie, seront davantage enseignées. Parmi d’autres missions, les infirmiers se verront confier « toute la latitude nécessaire » pour prendre en charge les plaies chroniques. Autre avancée notable : l’intégration « prochaine » des protocoles de coopération nationaux dans le droit commun. « Je pense notamment au protocole concernant l’éducation thérapeutique autour de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, ou encore aux consultations d’addictologie pour les patients en sortie d’hospitalisation », détaillait François Braun, qui souhaite par ailleurs « renforcer, faciliter et faire mieux connaître » la diversité des évolutions en cours de carrière, non sans réitérer sa volonté de pouvoir compter sur 5 000 IPA à l’horizon 2024.

Des réactions prudentes

Les principaux représentants du secteur se disent globalement satisfaits des dernières annonces ministérielles, mais… « Reste à savoir dans quelle proportion les missions se substitueront aux actes. Nous plaiderons pour que ces derniers demeurent l’essence du métier socle », tempérait Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers. Une chose est sûre : la profession est prête à relever le défi de l’accès aux soins. « Il n’y a pas de déserts infirmiers. Nous avons la possibilité de prendre en charge davantage de patients et davantage d’actes, y compris dans les lieux les moins bien pourvus en médecins. Nos compétences seraient très utiles dans les soins préventifs, curatifs et palliatifs, mais nos missions devront être impérativement élargies », rappelait Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers, dans un entretien accordé au journal Le Monde. Selon le calendrier fixé par François Braun, le projet interministériel doit aboutir à la rentrée 2024. Un délai particulièrement court face à l’ampleur du chantier. La problématique est ouvertement posée : attirer et fidéliser les étudiants et les professionnels de la filière en redonnant du sens et de la valeur au métier. Il reste un an au gouvernement pour tenir sa promesse…

 

Formation : les principales mesures annoncées par François Braun

  •  Doubler le nombre d’instituts de formation en soins infirmiers impliqués dans une cordée de la réussite pour la rentrée 2023 ;
  • Renforcer et développer l’apprentissage, notamment en première année de formation « dès l’an prochain » ;
  • Introduire de nouveaux enseignements (pédiatrie, psychiatrie, gérontologie…) et de nouveaux outils d’enseignement (simulation…), et transformer la politique de stage ;
  • Accélérer l’intégration pédagogique des instituts de formation avec l’université ;
  • Renforcer l’accompagnement et le suivi des étudiants, via la publication d’un guide du mentorat « dès la rentrée 2023 » et le lancement d’un plan d’accompagnement au déploiement et à la formation des mentors ;
  • Interdire la pratique de l’intérim en sortie de formation.

 


Photo : Ministère de la Santé

Durant la présentation de ses vœux aux soignants, François Braun a identifié dix objectifs clefs pour « inventer l’avenir de notre système de santé ». Signe particulier : les infirmiers occupent une place centrale dans le projet ministériel.

La philosophie est claire, mais la méthode interroge. Exténués et divisés, les soignants attendaient des réponses fortes du ministre de la Santé et de la Prévention. Entre espoir, confiance et fermeté, ses intentions sont clairement affichées : il souhaite « casser la spirale dépressive qui touche tous les acteurs et toutes les composantes de notre système de santé ». Présentée fin janvier, sa feuille de route s’inscrit dans la droite ligne du cap fixé par Emmanuel Macron. Elle comporte dix objectifs clefs* pour « inventer l’avenir », comme le souligne François Braun. « Nous allons revoir l’organisation et le financement de notre système de santé pour sortir de cette logique de l’offre et de la rentabilité, et mieux soutenir les enjeux de santé publique, de coopération à l’échelle des territoires, de prévention et de responsabilité vis-à-vis des populations. » A noter : les grandes orientations définies aiguilleront la nouvelle Stratégie nationale de santé qui sera dévoilée avant la fin du premier semestre, et dont la focale pourrait être décennale.

L’année des infirmiers !

« 2023 sera l’année des infirmières et des infirmiers, celle de perspectives clarifiées », dixit François Braun. Une chose est sûre : la profession occupe une place centrale dans le projet ministériel. Comme un symbole, la concertation portant sur la révision du décret relatif aux actes professionnels sera « lancée en février ». Des travaux sur la réingénierie de la formation seront également engagés pour favoriser « une mise en œuvre concomitante ». Former plus et former mieux, telle sera la nouvelle devise du système de santé. Face aux nombreux abandons constatés, un travail de fond sera mené pour « sécuriser les parcours et améliorer la qualité de vie étudiante ». Trois solutions concrètes sont envisagées : l’intégration du mentorat dans les formations avant la rentrée de septembre, l’encouragement et la meilleure reconnaissance du tutorat, et le déploiement plus dynamique de certains dispositifs tels que les cordées de la réussite.
En lien avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, un bilan de la plate-forme Parcoursup sera prochainement effectué. Un comité de pilotage Etat/Régions sera installé pour identifier les besoins quantitatifs et qualitatifs de la filière infirmière, et proposer un « deal de formation » dans chaque région. Des propositions concrètes seront formulées d’ici cet automne. Afin de libérer les voies d’accès au métier, l’apprentissage intégral sera promu et le recours aux contrats d’engagement de service public renforcé. Autres annonces majeures : un grand plan sera lancé au printemps pour augmenter le nombre d’infirmières et d’infirmiers en pratique avancée, avec un objectif de 5 000 IPA en activité fin 2024. IADE, IBODE et PUER… La reconnaissance de la pratique avancée des infirmiers spécialisés sera « assurée avant la fin de l’année ».

La pomme de discorde

La réussite de cet ambitieux projet est néanmoins soumise à conditions. « Nous aurons besoin de nous rassembler et de dépasser les intérêts personnels, corporatistes ou sectoriels », affirme François Braun. Actuellement débattue au Parlement, la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé exacerbe les tensions interprofessionnelles. Vent debout contre cette réforme, qui prévoit notamment d’instaurer un accès direct et d’octroyer un droit de primo-prescription à certaines professions paramédicales, les médecins libéraux ont battu le pavé le 14 février dernier… date de son examen en première lecture au Sénat. « Attaqué par les parlementaires, négligé par le ministère, contourné par le gouvernement, le système de santé est en grand danger. Au prétexte de lever les freins, cette loi se propose de déréguler l’accès aux soins, ouvrant la voie d’une redoutable et néfaste médecine à deux vitesses. Nous refusons que soit ainsi mis en péril l’accès de nos concitoyens à un système de santé qui doit rester solidaire et équitable, respectueux de la médecine libérale », martèlent onze syndicats médicaux, dans un communiqué commun.
Tempérée par les sénateurs, la dernière mouture du texte suscite désormais la colère des organisations infirmières. Cinquante d’entre elles** ont adopté une position commune : « Les professionnels de santé sont tous les maillons d’une même chaîne de soins, mais ce sont les besoins et les intérêts du patient qui en sont les éléments centraux et qui doivent être le centre de l’union ; sa santé doit être la seule priorité de tous. Les postures d’un corporatisme médical séculaire et autoritaire n’ont jamais fait progresser la santé de nos concitoyens, bien au contraire ! » Une commission mixte paritaire doit désormais se réunir pour trancher définitivement ce débat controversé.

(*) Les dix objectifs clefs de François Braun : garantir à tous les Français souffrant d’une affection de longue durée un accès à un médecin traitant ; redonner du temps médical et du temps soignant en ville comme à l’hôpital ; assurer la continuité et la permanence des soins sur le territoire ; améliorer la qualité de vie à l’hôpital et stabiliser les équipes ; former plus de soignants et les former mieux ; créer un choc d’attractivité dans les territoires et faciliter le quotidien des soignants ; tourner le dos à la logique comptable qui a pu aboutir à une forme de rationnement des soins ; garantir que la santé soit accessible à tous, quelles que soient les ressources ; assumer collectivement une nouvelle ambition sur la prévention ; promouvoir la recherche et l’innovation.

(**) Dans ce communiqué commun, cinquante organisations infirmières réclament la reconnaissance et la valorisation de leurs compétences et de leurs responsabilités. Elles demandent la reconnaissance du statut d’auxiliaire médical en pratique avancée pour les spécialités infirmières dont l’exercice autonome correspond aux critères internationaux, et le retrait immédiat du projet concernant les mesures transitoires des infirmiers de bloc opératoire. Elles soutiennent le principe de l’accès direct, notamment en CPTS et particulièrement en ce qui concerne la gestion des plaies, mais aussi l’ouverture du droit de primo-prescription aux IPA.


Photo : Ministère de la Santé