Reconnaissance, responsabilité et autonomie : telles sont les trois grandes évolutions attendues par les infirmiers, à l’aube de ce nouveau quinquennat.

Principal fait marquant de la dernière consultation ordinale, dont les résultats ont été officiellement publiés début juin, l’actualisation du décret encadrant les compétences infirmières est jugée « urgente » par 94 % des répondants. Derrière cet enjeu primordial, la profession exprime des revendications très concrètes, comme la reconnaissance et le renforcement des soins relationnels effectués par l’infirmier, l’octroi de responsabilités accrues en matière de prévention et d’éducation thérapeutique ou encore le développement d’une consultation infirmière… sans prescription médicale. L’accès direct des patients, en ville comme à l’hôpital, et l’autorisation de prescription pour des actes simples sont également réclamés par la majorité des sondés.

Dans le champ des pratiques avancées, la création de nouvelles mentions relève quasiment du plébiscite pour le vieillissement et la fin de vie, les déterminants de la santé et les problématiques sanitaires liées à l’environnement.

Plus largement, la profession dit vouloir être davantage impliquée dans le déploiement des politiques de santé publique, et plus particulièrement dans la lutte contre les addictions.

NB : 41 024 infirmiers ont répondu à cette consultation réalisée par internet du 13 au 30 mai auprès de l’ensemble des inscrits au tableau de l’Ordre.

Dans une enquête publiée mi-mai, la FNESI pointe la dégradation de la santé physique, mentale et financière des étudiants en soins infirmiers.

Crises d’angoisse, dépression, idées suicidaires… Leur état psychique s’est considérablement aggravé. La problématique concerne désormais près de deux tiers des répondants, soit une hausse de dix points en cinq ans. Corollaire de ce mal-être grandissant, une hausse significative de la consommation de médicaments a notamment été constatée. Des dérives vers des comportements addictifs et/ou à risque ont également été observées. Autre enseignement de cette production statistique : un étudiant sur six a été victime de violence sexiste ou sexuelle, principalement sur les lieux de stage. Pour toutes les raisons évoquées, 59,2 % des ESI ont déjà pensé à arrêter leur formation.

Jugés graves, les résultats de cette enquête nécessitent des réponses « rapides et massives ». Parmi d’autres recommandations, la FNESI propose une refonte du référentiel de formation en soins infirmiers avec une réingénierie du temps de travail et des enseignements, un investissement massif sur la santé mentale, un accompagnement des comportements addictifs dans les SSU, une augmentation des indemnités de stage ou encore la prise en compte de la parole des victimes.

NB : cette enquête a été réalisée du 2 mars au 16 avril via les réseaux et les canaux de communication de la FNESI. 15 652 réponses ont pu être exploitées.

Dans une tribune publiée début mai sur le site du quotidien Les Echos, le directeur général de l’AP-HP propose ses pistes de réforme pour « refonder l’hôpital ». Les professions paramédicales s’inscrivent au cœur de son projet… loin de faire l’unanimité.

Le moment ne doit rien au hasard. A l’issue du scrutin présidentiel, Martin Hirsch s’est fendu d’une tribune remarquée, publiée début mai sur le site du quotidien Les Echos. Destiné au futur gouvernement, ce plaidoyer contient des pistes de réforme pour « refonder l’hôpital ». Le constat est sans appel : « Le système hospitalier français est en crise. Ceux qui y travaillent considèrent que cela va de mal en pis. Les fermetures de lits ne sont pas planifiées mais subies, en fonction de la disponibilité des professionnels. Le malaise concerne aussi bien les petits établissements que les centres hospitalo-universitaires les plus prestigieux, même si les problèmes peuvent y être différents. » Parmi d’autres recommandations plus ou moins nouvelles, le directeur général de l’AP-HP suggère notamment de « médicaliser et paramédicaliser » la gouvernance des établissements de santé. « Les paramédicaux ne peuvent être considérés comme de simples exécutants. Ils doivent participer à la gestion de l’hôpital, à l’évolution des métiers, aux grands choix. Leur place restreinte est l’une des explications du malaise », écrit Martin Hirsch, qui propose par ailleurs de recréer l’équivalent contemporain des ordonnances Debré, à travers la mise en place d’une « commission prestigieuse » placée sous la responsabilité du vice-président du Conseil d’Etat.

Statut, rémunération et mobilité

En marge de cette évolution, Martin Hirsch plaide pour une révision en profondeur des statuts des médecins et des personnels paramédicaux. Plus souples et plus différenciés, ils devront « favoriser la mobilité et la diversité des parcours professionnels ». Selon lui, le système des affectations devra également être repensé pour « coller au plus près des besoins ». Autre chantier majeur : le directeur général de l’AP-HP pose les bases d’une « rémunération en trois parts », soit une part plancher qui serait fixée nationalement et statutairement, une part variable qui serait le produit d’un coefficient géographique lié au coût de la vie dans la région et une part à la main de l’établissement, en fonction de critères définis collectivement, qui permettrait de mieux rémunérer certaines spécialités et certaines fonctions, un investissement particulier dans la vie de l’établissement, voire des compétences ou une technicité spécifiques. Dans le schéma décrit, les primes seraient maintenues pour valoriser l’engagement des professionnels dans des missions d’encadrement, d’enseignement ou de recherche.

Réactions mitigées…

Une chose est sûre : la dernière sortie médiatique du grand patron des hôpitaux parisiens suscite des réactions mitigées. Certains experts jugent ces propositions intéressantes pour améliorer la gestion des ressources hospitalières et des besoins de santé de la population, là où d’autres dénoncent une vision technocratique et incomplète, notamment sur les questions relatives à la qualité de vie au travail. Particulièrement critiques à l’égard de ce projet, les représentants des directeurs de soins sont montés au créneau. Dans un communiqué, les responsables de l’AFDS* déplorent la « vision désobligeante » de leur métier, malgré « leur investissement sans relâche dans les réorganisations incessantes ». Ils se déclarent néanmoins favorables à la paramédicalisation de la gouvernance hospitalière, envisageant même un élargissement du directoire aux soignants pour un tiers de sa composition… avec une déclinaison semblable dans les pôles et les services. En pleine recomposition, le gouvernement n’a pas encore dévoilé ses pistes de réforme pour l’hôpital ni commenté le plaidoyer de Martin Hirsch.

(*) Association française des directeurs des soins – AFDS.

A compter de la rentrée prochaine, les infirmiers de bloc opératoire se verront reconnaître le grade de master à l’issue d’un cursus de deux ans, contre dix-huit mois auparavant.

Publiés fin avril, un décret et un arrêté précisent notamment les modalités de délivrance du diplôme, mais aussi les conditions d’accès à la formation, son contenu et son organisation pédagogique. Parmi d’autres avantages, cette évolution devrait plus particulièrement permettre de restaurer l’attractivité du métier. Elle devrait également faciliter la montée en gamme ou la reconversion des professionnels par le biais d’une validation des acquis de l’expérience.

Outre la non-reconnaissance des infirmiers de bloc opératoire préalablement formés, deux points majeurs restent en suspens : le maintien des autorisations accordées aux infirmiers généraux et le niveau de rémunération proposé aux futurs diplômés. Attendue depuis seize ans, la réingénierie de la formation s’inscrit dans le cadre du processus d’universitarisation des professions paramédicales.

NB : la formation sera organisée en douze unités d’enseignement. Elle comptera 1 645 heures, soit 47 semaines de stage. Les étudiants devront valider cinq blocs de compétences.

La Cnam vient de doubler le montant de l’aide exceptionnelle accordée par le gouvernement pour compenser la hausse du prix de l’essence.

Estimée à quinze centimes d’euro par litre de carburant, cette majoration concerne les médecins, les chirurgiens-dentistes, les sage-femmes, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les pédicures-podologues, les orthophonistes et les orthoptistes conventionnés qui délivrent des soins à domicile.

Elle correspond à une hausse d’un centime du tarif unitaire des différentes indemnités kilométriques. Elle sera complétée par une hausse de quatre centimes du tarif unitaire des différentes indemnités forfaitaires de déplacement. Applicable depuis le 25 avril, cette compensation prendra fin le 31 juillet prochain, en même temps que les remises à la pompe financées par l’Etat.

Dans un communiqué, la Fédération nationale des infirmiers salue le geste, mais regrette son caractère transitoire. Elle réclame une revalorisation pérenne pour réussir le « virage domiciliaire » souhaité par le gouvernement et plébiscité par les patients.

Les compétences vaccinales des infirmiers ont été significativement élargies, conformément à l’avis récemment délivré par la Haute Autorité de santé.

Selon les textes publiés fin avril, ils pourront désormais vacciner les plus de seize ans… sans prescription médicale préalable. Cette autorisation se limite toutefois aux personnes visées par des campagnes de vaccination contre quinze pathologies : la grippe saisonnière, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la coqueluche, la rage, les papillomavirus humains, les infections invasives à pneumocoque, les virus de l’hépatite A et l’hépatite B ou encore les méningocoques de sérogroupes A, B, C, Y et W.

Nom et prénom du vaccinateur, dénomination du vaccin administré, numéro de lot, date de l’injection… Les infirmiers devront inscrire certaines informations clefs dans le carnet de vaccination ou le carnet de santé et le dossier médical personnel du patient. A défaut, ils devront inscrire ces mêmes informations dans le dossier de soins infirmiers et délivrer une attestation de vaccination au principal intéressé. Faute de DMP et sous réserve du consentement du patient, ils devront transmettre ces données au médecin traitant.

Les infirmiers seront systématiquement chargés de déclarer les effets indésirables recensés au centre de pharmacovigilance.

NB : les prérogatives vaccinales des sage-femmes et des pharmaciens ont également été renforcées par le législateur.

En vertu d’un décret publié fin avril, les orthoptistes peuvent désormais prescrire des verres correcteurs et des lentilles oculaires… sous certaines conditions.

Cette autorisation se limite notamment aux personnes âgées entre seize et quarante-deux ans. Pour des lunettes, le dernier bilan visuel effectué par un ophtalmologiste devra également dater de moins de cinq ans, et de moins de trois ans pour des lentilles. Les orthoptistes pourront cependant renouveler leurs propres ordonnances datant de moins de deux ans, non sans procéder aux corrections visuelles de leurs patients.

Ils pourront surtout dépister l’amblyopie chez les enfants de neuf à quinze mois et les troubles de la réfraction chez les enfants de trente mois à cinq ans, sans ordonnance médicale préalable. Selon le syndicat des orthoptistes, cette simplification de l’accès aux soins visuels devrait concerner six millions de Français.

Radicalement opposés à ces mesures prévues par la LFSS 2022, les ophtalmologistes redoutent la déstructuration des parcours de santé et la dégradation de la qualité du service rendu à la population. Pour beaucoup, ce démantèlement des compétences médicales pourrait aggraver l’errance diagnostique et accroître les inégalités de santé.

NB : la liste des contre-indications en matière de primo-prescription est toujours en instance de publication.

La mobilisation des étudiants de la filière en cas d’urgence sanitaire ou d’afflux massif de patients a été rigoureusement encadrée par le législateur.

Certaines précautions ont notamment été prises pour garantir la continuité des apprentissages et des stages, mais aussi leurs conditions d’exercice dans un contexte de crise. Selon les principales organisations syndicales*, le texte représente « une avancée significative dans la considération et la reconnaissance de l’engagement des étudiants et étudiantes mobilisés, et leur garantit un meilleur accompagnement tenant compte de leur santé et des spécificités de leurs formations ». Elles réaffirment néanmoins leur vigilance quant à la mise en œuvre effective de ce dispositif, redoutant notamment « une banalisation ou une systématisation du recours aux étudiants pour compenser les lacunes d’un système de santé en difficulté ».

Outre la prévention des ruptures dans l’enseignement, la préservation de la santé mentale et physique des étudiants fera l’objet d’une attention particulière.

(*) FAGE, ANEMF, ANEPF, ANESF, FNEK, FNESI, FNSIP-BM, ISNAR-IMG, UNECD.

A l’issue des dernières Journées d’étude de l’ANdEP, Florence Girard détaille les grands enjeux en matière de recherche, notamment sur le plan pédagogique et managérial. Elle dévoile également ses attentes pour le prochain quinquennat.

Les dernières Journées d’étude de l’ANdEP se sont tenues le mois dernier. Quels sont les faits à retenir ?

Ces rencontres ont été marquées par le retour des interactions physiques. Les quatre-vingts participants ont pris plaisir à échanger, parfois de manière animée, mais toujours avec bienveillance. La richesse des débats et la qualité des intervenants ont été unanimement soulignées. La thématique choisie y est sans doute pour beaucoup. Sujet hautement stratégique, la recherche a été le fil conducteur de ces deux journées. Comme un symbole, nous avons délivré notre quatrième bourse doctorale en trois ans.

Quels sont les principaux enjeux en matière de recherche ?

La recherche est un facteur d’émancipation et de leadership pour les directeurs d’institut et les équipes enseignantes, mais aussi pour les étudiants. Il nous faut inventer et promouvoir de nouvelles stratégies managériales et pédagogiques visant à mieux intégrer cette dimension dans les formations paramédicales. La recherche est un objet transversal par essence. Elle ne concerne pas uniquement les instituts de formation, comme le rappelle le dernier rapport de l’ANdEP*.

Quels sont les grands enseignements de ce nouveau rapport ?

Nous avons identifié deux « objets frontières » entre les instituts de formation et les terrains de stage : la simulation en santé et la recherche. Ce seront deux leviers critiques pour améliorer la qualité de l’enseignement délivré, accroître le nombre de places disponibles dans les structures de soins et optimiser les pratiques professionnelles. Nous devrons développer ces usages, croiser les expériences et imaginer de nouveaux partenariats. Nous devrons par ailleurs élargir le champ de notre réflexion à la notion de tutorat, à la fois peu reconnue et mal valorisée. D’autres freins devront naturellement être levés.

Florence Girard lors de « Journées de l’ANDEP » en mars 2022

Lesquels ?

La composition des équipes de formation devra évoluer en conséquence. Nous aurons notamment besoin d’enseignants-chercheurs pour favoriser cette transition. Actuellement en discussion, la création d’un statut de bi-appartenant devra être rapidement concrétisée. Axée sur la recherche et la clinique, cette double valence permettra de bâtir des ponts entre les instituts et le terrain. Une chose est sûre : nous devrons mieux appréhender le profil sociologique des étudiants.

C’est-à-dire ?

Nous devrons repenser nos maquettes de formation en fonction des aspirations de la jeune génération. Les difficultés rencontrées dans les structures de soins, notamment en matière de recrutement et de fidélisation, ne relèvent pas de notre responsabilité. Elles nous invitent néanmoins à la réflexion. Nous tâcherons de mieux accompagner les étudiants dans la construction de leur projet professionnel. La qualité du suivi pédagogique et l’accueil en stage seront deux paramètres déterminants.

La recherche peut-elle être un trait-d’union en la matière ?

Absolument ! Cette discipline trace de nouvelles perspectives pour les directeurs, les formateurs et les étudiants, mais aussi pour le système de santé. La recherche sera un véritable trait d’union entre la formation et la profession, en particulier dans sa dimension pédagogique et clinique. Elle aura un impact certain sur la profondeur de l’enseignement, non sans améliorer les pratiques professionnelles. A tout le moins, elle enrichira la réflexion sur les activités de soins. Ce nivellement par le haut pourrait également contribuer à fidéliser les soignants.

Quelles sont vos principales attentes pour le prochain quinquennat ?

La révision du référentiel de formation des infirmiers, qui doit intervenir au second semestre, sera une priorité majeure. Parmi d’autres impératifs, les textes devront mieux prendre en compte les enjeux de santé publique présents… et futurs ! La DGOS ne devra pas se contenter d’un simple toilettage. La recherche, l’interdisciplinarité et les usages numériques devront notamment être pensés dès les premiers stades de l’apprentissage. Dans le prolongement de cette réforme, le processus d’universitarisation des professions paramédicales devra être mené à son terme.

Quid du nouveau partenariat entre l’Etat et Régions de France ?

Nous suivrons attentivement la déclinaison opérationnelle de ce protocole prometteur. Nous devrons impérativement bénéficier d’un soutien logistique et financier pour accompagner la hausse de nos capacités d’accueil et la nécessaire augmentation des terrains de stage, qui reste aujourd’hui notre principal motif de préoccupation. Ce partenariat renouvelé devra également permettre de consolider la procédure Parcoursup. Longue et complexe, elle doit être simplifiée pour alléger la charge administrative qui pèse sur les directeurs d’institut et leurs équipes.

(*) « Etude de la qualité des formations paramédicales depuis le lancement du processus d’universitarisation », ANdEP (mars 2022).